#Confinement Tribune Lecture des images : ce que la crise va changer par Philippe Ibars, photographe

La crise sanitaire actuelle va changer notre regard sur l’image. Philippe Ibars, photographe, membre du Club, partage avec nous son point de vue.

Il y a quatre ans, j’ai illustré pour l’Académie de Montpellier un petit recueil de textes d’enseignants qui avait pour titre Vies minuscules et petits riens. J’avais pour cela utilisé des photographies prises dans des villes comme Stockholm, Barcelone, Lisbonne, images dans lesquelles l’humain apparaissait de manière volontairement insignifiante.

La lecture de ces images reposait sur le fait que le lecteur, le « regardeur » ajoutait à ce qu’il voyait ce qu’il gardait en lui de sa vision de la ville. Une image, c’est bien connu, n’existe que parce qu’on la regarde et le « regardeur » finit de lui donner son sens, comme s’il en devenait co-auteur. Mes photographies d’espaces urbains désertés par l’humain — et j’en ai fait beaucoup — ne fonctionnent plus aujourd’hui. Elles ont perdu le « sens » qu’elles voulaient avoir. Elles exprimaient la solitude dans un univers surpeuplé, l’isolement dans la foule, elles parlaient d’incommunicabilité, voire d’exclusion, de marginalité, elles voulaient montrer en creux l’indifférence, l’individualisme, une certaine forme d’inhumanité.

La crise sanitaire que nous vivons vient bouleverser entre autres choses notre manière de lire certaines images. Nous intégrons désormais dans notre « musée imaginaire » cette avalanche d’images de villes, de zones urbaines du monde entier désertées à cause du confinement. Dès lors toute photographie de rues, de places, de parcs vides, dépeuplés, signifiera « covid »,
« coronavirus », pandémie…
Les « signifiés » sont en train de muter, comme les virus qui bouleversent nos vies. Alors certaines images d’avant le coronavirus deviennent datées, obsolètes, « insignifiantes ».

Notre univers métaphorique se recompose et ce petit changement de paradigme dans le domaine de l’art préfigure d’autres métamorphoses qu’il va falloir interroger.